Il n’est pas fréquent qu’une jeune femme reprenne la direction d’une entreprise d’usinage de tôle. Et pourtant: depuis l’an dernier, Manuela Laube tient les rênes de la société Laube + Co. AG à Mellikon, en Argovie. Installé sur un site pittoresque le long du Rhin supérieur dans le district de Zurzach, ce village compte environ 250 habitants. À deux pas de l’Allemagne. Mellikon – «là où les habitants se connaissent et se saluent», comme l’indique la commune sur son site Internet.
Ici, presque tout le monde connaît les Laube. Leur entreprise de construction d’appareils industriels emploie une trentaine de personnes et fabrique notamment des pièces métalliques pour Stadler Rail. «Il faut disposer d’une certification spéciale pour pouvoir fabriquer des pièces métalliques pour les chemins de fer», explique Manuela Laube non sans fierté. Nous avons rencontré la jeune entrepreneuse avec son père Paul, dont elle a repris l’entreprise en 2015. Mais nous y reviendrons ultérieurement.
Toute entreprise, à un moment de son histoire, aborde cette période critique où le fondateur – ou le patron – doit répondre à la question suivante: qui reprendra un jour ma société? La question se pose particulièrement pour les PME. Si l’on en croit les études, environ 10% des PME suisses se trouvent en phase de succession. La dernière édition de l’enquête sur les successions réalisée par le service d’information économique zurichois Bisnode D & B Suisse SA est parue en automne 2015. Après avoir analysé les informations inscrites au registre du commerce, la société en conclut que dans les cinq années à venir, quelque 64 000 entreprises devront faire face à un renouvellement générationnel à leur tête. Cela représente 12,5% de toutes les entreprises. Le problème est particulièrement répandu chez les entreprises individuelles (19,1 %). À titre de comparaison, on peut s’attendre à un problème de succession chez 12,7 % des sociétés anonymes et chez 5,8 % des S.à r.l.
En théorie, il existe plusieurs options: en plus de la succession familiale conventionnelle au cours de laquelle la société est transmise à la génération suivante – en règle générale du père ou de la mère au fils ou à la fille –, la vente au management (management buy-out) fait partie des solutions internes. Cela consiste, pour un gérant ou pour des cadres, à racheter l’entreprise et à prendre la suite de l’ancien propriétaire. Dans le cas d’une solution externe, la société est rachetée par un tiers extérieur.
Cette situation soulève plusieurs questions d’ordre financier: quelle est la valeur de l’entreprise? Quelle est la marge de manœuvre financière dont souhaite disposer le patron sur le départ pour sa retraite? Le successeur peut-il financer lui-même la reprise ou doit-il faire appel à des fonds étrangers? On le comprend, les banques sont prédestinées pour assurer le règlement d’une succession. En effet, le savoir-faire acquis auprès de la clientèle d’entreprise dans le domaine de l’organisation et du droit, mais également de l’évaluation des entreprises, s’ajoute au savoir-faire en matière de gestion de fortune accumulé auprès de la clientèle privée.
Ne pas s’y prendre au dernier moment
Rares sont les entrepreneurs qui pensent spontanément à leur propre banque pour les questions de succession. C’est pourquoi UBS a décidé en 2012 de prospecter ce marché dans le cadre d’une initiative sur la succession. Frank Höner, cofondateur du projet et aujourd’hui responsable d’une grande partie de l’offre en la matière, en connaît les tenants et aboutissants sur le bout des doigts. Inconsciemment, les entrepreneurs repoussent souvent la question de leur succession: «Un entrepreneur entretient un rapport tellement fusionnel avec son entreprise que l’idée d’en être séparé n’a pas aucune place dans son esprit», explique Frank Höner. Certaines entreprises sont pratiquement invendables parce qu’elles sont entièrement focalisées sur la personne de leur entrepreneur. Il faut beaucoup de temps pour réaliser cette césure sentimentale et financière, ainsi que pour transférer le savoir-faire. Dans le cas d’une vente en externe, la recette dépend par ailleurs de la conjoncture économique du moment. Les ventes réalisées dans l’urgence sont rarement satisfaisantes.
C’est pourquoi les experts d’UBS recommandent de s’occuper suffisamment tôt de la succession, car le «processus de lâcher-prise est long». Même si la plupart des successions se déroulent au sein de la famille ou avec l’intégration du management, Frank Höner note un recours croissant aux solutions externes, c’est-à-dire à la vente de l’entreprise à des tiers. Cela tient au fait que les descendants ne reprennent plus aussi souvent la suite de leurs parents. Et plus l’entreprise est importante, plus la probabilité d’un recours à une solution externe est grande. Parmi les options figurent aussi bien des investisseurs stratégiques dont le modèle économique épouse parfaitement celui de l’entreprise que des solutions de capital-investissement (private equity), le plus souvent des leveraged buy-outs (LBO) auxquels le management en place peut éventuellement participer.
Responsable transaction advisory à Zurich chez UBS, David Stotz conseille quotidiennement des clients d’affaires sur les questions de succession. Il énumère les écueils possibles. Pour commencer, le bilan d’une PME suisse se caractérise souvent par un haut niveau de liquidités. Cela pose un problème au regard de la succession: comment le fondateur peut-il transférer vers sa fortune privée une partie des liquidités générées au fil des années sans être assommé fiscalement? Plus l’excès de liquidité est important, plus le prix d’achat sera élevé et moins l’entreprise sera attrayante aux yeux d’acheteurs internes ou externes. Autre pierre d’achoppement: les biens immobiliers ne servant pas à l’entreprise gonflent le bilan parce que le patron a acquis des biens immobiliers sans distinction. Les repreneurs potentiels d’un site industriel ne sont pas forcément intéressés par une moisson immobilière récoltée en parallèle.
Que cela signifie-t-il dans la pratique ? Rencontre avec trois sociétés qui ont récemment changé de propriétaire avec l’aide d’UBS: